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PAPA POUBELLE
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Saleté de cochonnerie de temps, un hiver de Sibérie. J’ai les pieds qui ne sentent plus leurs orteils, plus une goutte de sang là-dedans, les doigts c’est pareil, ça fait mal quand je les plie et j’ai les ongles transparents avec du gel en dessous. Pourtant j’ai des bottes fourrées avec de la laine d’ours et mes mains sont protégées tout le temps avec des nouveaux gants matelassés comme des gilets pare-balles. Mais il fait trop froid. On est à Marienau en Moselle et ici en hiver quand tu tombes en panne dans une tempête de neige, on te retrouve sous forme de glaçon géant dans ta voiture, avec le visage tordu et les dents qui ont tellement claqué qu’elles ont foutu des miettes d’émail sur le volant. Au moins quand j’ai froid comme ça, ma maladie et ses grattements me laissent tranquille.
J’ai un kilomètre à pied pour rentrer du dépôt jusqu’à chez moi. On habite dans une petite ville, au quinze de la route de Forbach. Je n’aime pas ce chiffre, je n’aime pas les chiffres impairs. D’ailleurs j’ai eu trente neuf ans il y a six mois et rien ne va depuis.
Sur le chemin, il y a les cris des corbeaux. A la maison, c’est le bruit des mômes. Un enfer, aussi. Ils ont un, trois, cinq, sept et neuf ans. Tous ces chiffres impairs ça ne peut que porter la poisse. Ils braillent ensemble ou séparément, un vrai concert de corbeaux. Quand Armande, ma femme, s’y met aussi, ça donne envie d’être sourd même si ça serait moins pratique pour écouter les émissions à la radio.
J’ai déjà pris une douche au dépôt mais Armande veut toujours que j’en reprenne une à la maison quand je rentre. A cause de ma maladie (la gale des poubelles), ce n’est pas vraiment une douche que je prends : je me trempe dans une bassine réservée pour moi et qu’on jettera quand je serai guéri. L’eau est souvent tiède et des fois froide parce que tous les gamins sont passés dans la baignoire et qu’il n’y a plus beaucoup d’eau chaude. Dès que je sors du baquet, je mets mes gants spéciaux de la maison pour ne pas toucher des choses ou les enfants avec mes doigts pleins de gale. Je ne peux même plus faire des caresses à Armande, elle dit que quand je lui passe la main sur la tête avec les gants ça lui fait crisser les cheveux.
On est au repas du soir et comme d’habitude c’est le grand n’importe quoi. La bouffe vole de partout, on dirait que les gniards font un concours. Cindy, la grande, n’est pas à table. Elle boude dans sa chambre, me dit Armande. Va la voir parce qu’en plus c’est à cause de toi.